• capture d'écran — Manon Thirriot, Traces, 2015 Vidéo, Perth, Australie 3:00 min (en boucle). Travail en collaboration avec l'artiste Matthew McAlpine
  • capture d'écran — Manon Thirriot, Traces, 2015 Vidéo, Perth, Australie 3:00 min (en boucle). Travail en collaboration avec l'artiste Matthew McAlpine
  • Manon Thirriot, Red Earth, 2015 Installation in situ dans le désert, Buntine, Australie. Terre rouge, 200 x 150 cm, Travail en collaboration avec l'artiste Matthew McAlpine
  • Collaboration en cours avec Rémi Couvreur
  • Collaboration en cours avec Rémi Couvreur
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Entretien avec Manon Thirriot

Actualités - 25/04/2017 - Article : Barbara Fecchio

Manon Thirriot vient de passer un mois en résidence de création à NEKaTOENEa, au cœur du domaine d’Abbadia à Hendaye, en partenariat avec La Malterie de Lille et dans le cadre de son programme STARTER, programme d’aide à la professionnalisation ouvert aux jeunes diplômés. Nous avons échangé avec elle autour de sa pratique artistique et de sa résidence au Pays basque.

« Le fil conducteur de mon travail réside dans une grande fascination pour la nature, ainsi que la volonté de voyager et d’expérimenter le paysage. » Lors de votre quatrième année à l’école d’art du Nord Pas-de-Calais de Tourcoing, vous avez décidé de partir à l’étranger, sans avoir une structure d’accueil. Un déracinement volontaire en quelque sorte, qui vous a amené, par le biais de rencontres et expériences, à inclure l’élément naturel, organique, dans votre pratique artistique. Pourriez-vous nous parler de ce cheminement ?
J’ai toujours eu cette envie de me forger une image de ce que pouvait être un territoire inconnu. Mais cela était resté à l’état de projet. Après l’obtention de mon DNAP, je souhaitais sortir de mon quotidien et m’éloigner du cadre scolaire qui m’avait toujours entouré. Ainsi lorsque l’opportunité s’est présentée de mettre à profit ma quatrième année à l’ESA pour partir à l’étranger, j’ai décidé d’entamer à travers ma propre expérience mes premières réflexions autour du voyage, devenant dès lors mon axe d’étude pour mon mémoire.  Spontanément, j’ai orienté mes recherches sur les notions spécifiques d’aventure et d’exploration qui constituent et nourrissent l’image de « l’artiste explorateur » dans l’art contemporain, en les mettant en parallèle avec mes déambulations.
Aujourd’hui la pratique de la marche, l’envie d’expérimenter le paysage et de questionner sa plasticité est devenu la trame de mon travail. Cette approche valorise avant tout une expérience ainsi que la mémoire d’un endroit que je parcours afin de les projeter dans mes travaux artistiques. Mon travail est donc intimement lié au lieu dans lequel je me déplace. Le résultat de mes itinéraires se prolonge à travers l’installation, la photographie et la vidéo.
Cette attirance particulière pour les sciences naturelles à travers l’idée d’allier les éléments naturels dans ma pratique s’explique certainement par une prise de conscience des questions environnementales. Ce sont des enjeux majeurs au cœur des débats publics, politiques et écologiques de notre société, il me semble alors important que ma pratique soit au plus proche de mes convictions personnelles.

Pourriez-vous parler des projets Traces, l’installation d’un bloc de terre rouge fabriqué à Dawallinu et ramené sur une plage à Perth (Australie), et Red Earth, une installation in situ dans le désert australien, en collaboration avec l’artiste Matthew McAlpine ? Les deux sont fortement ancrés aux notions de territoire et de mémoire, tout en étant liés à une temporalité éphémère car dans les deux cas, c’est la nature qui décidera de l’évolution du projet.
Effectivement. Pendant près de neuf mois, j’ai voyagé à travers l’Australie, j’ai travaillé dans une ferme d’exportation de blé à Buntine dans le Western Australia. L’exploitation appartient à Stuart McAlpine, qui exporte la majeure partie de ses récoltes vers l’Asie. Soucieux des enjeux climatiques, Stuart McAlpine est connu dans sa région pour utiliser un système de culture très écologique, en utilisant le moins d’eau possible. Cette rencontre fut symbolique. Vivant sur ce territoire pendant trois mois, c’est bien plus qu’une expérience professionnelle qui en est ressortie. J’ai appréhendé cette réalité comme une découverte de l’isolement dans ces lieux et ces situations rencontrées, j’ai appris à cohabiter avec ces hommes et ces femmes qui ont fait un choix de vivre radicalement coupés du monde. Lorsque j’ai fait part de mon envie de travailler avec la terre rouge, Stuart m’a tout de suite mis en contact avec son fils, Matthew McAlpine, artiste australien qui utilise la terre comme élément principal dans son travail. En l’utilisant comme pigment naturel il réalise des peintures et des installations. Intriguée par sa démarche plastique et par le souhait de travailler in situ, une collaboration s’est imposée assez naturellement.
Le projet Traces fait partie d’un regroupement de vidéos-performances issu de notre travail en collaboration. Dans les images tirées de la vidéo on voit un petit cube de terre rouge congelé qui fond au soleil et se dissout dans la mer. Par ce geste artistique, nous avions souhaité souligner l’importance du symbolisme de cette terre. Présente sur 84% de la région du Western Australia, elle est surtout un emblème de l’art aborigène. À l’heure actuelle, le peuple aborigène est l’enjeu de nombreux débats notamment concernant sa présence sur le territoire australien. La construction du bloc fut réalisée à Dawallinu. Nous l’avions ensuite installée sur une plage à Perth. Le choix du lieu avait son importance. Perth est une ville nouvelle, qui ne cesse de croître et de s’étendre dans la région du Western Australia. Nous avions remarqué que la terre rouge présente en quantité auparavant semble disparaitre petit à petit pour laisser place aux nouvelles constructions.

Vous avez été en résidence à NEKaTOENEa (Hendaye) durant un mois, dans le cadre du projet STARTER, mis en place par la Malterie de Lille et co-construit avec l’école supérieure d’art de Dunkerque/Tourcoing. Pouvez-vous déjà avoir un regard sur cette résidence ? Avez-vous découvert des lieux, des artistes ou des nouveaux paysages ?
Lors de ma résidence à NEKaTOENEa, j’ai souhaité développer un questionnement autour de l’objet rapporté. Pendant mes déambulations, j’effectue toujours des séries de prélèvements, je ramasse et collectionne en m’attachant soit à des objets récents, soit à des vestiges d’une forme d’archéologie passée ou plus contemporaine. Ce geste qui peut sembler familier a, à mon sens, une réelle valeur plastique. C’est une forme de documentation de mon action, comme un témoignage. Les micro-aspérités de ces objets se prêtent elles-mêmes à l’interprétation et à une forme d’évasion. J’accumule alors ces objets qui forment ensuite une collection d’archives de mon parcours, un protocole que j’effectue également avec la photographie. Ici à NEKaTOENEa, mes déambulations sont devenues plus scientifiques. La présence d’acteurs de l’environnement sur le domaine d’Abbadia me permettait d’être accompagnée par des géologues ou des naturalistes afin d’avoir une description plus détaillée de mes itinéraires sur la Côte basque. Je me suis rendue principalement sur la Pointe-Saint-Anne, dans la baie d’Erdiko-Ura, où je fus d’abord rapidement saisie par le travail de l’érosion, qui redéfinit les contours de ces zones subissant de perpétuelles transformations. Mais aussi par tout l’écosystème présent sur l’estran. Ces différents constats m’ont évidemment amenée à questionner l’évolution de la corniche et à tous les rapports écologiques et environnementaux qui y sont liés. Ne pouvant pas récolter en grande quantité sur le domaine, j’ai dû m’interroger sur la manière de retranscrire ses objets en cherchant différents procédés pour établir une série d’échantillons par le moulage. En utilisant l’argile ou l’alginate par exemple, j’effectue des contre-empreintes sur le flysch, les roches sédimentaires en couches successives constituant les falaises, mais aussi en encrant directement l’objet ou encore en utilisant le cyanotype : un procédé photographique par émulsion permettant un transfert précis. Ce répertoire d’empreintes prendra la forme de petites éditions, interrogeant tous les micros et macros événements que j’ai pu étudier sur le domaine et sera par la suite intégré dans une future installation. Cette démarche me pousse à travailler à l’extérieur, et m’amène au fur et à mesure à me constituer un atelier/laboratoire nomade. Elke Roloff et Aintzane Lasarte, chargées de missions à la résidence NEKaTOENEa m’ont fortement aidé dans la mise en relation avec les scientifiques et avec leur réseau, notamment en visitant plusieurs structures culturelles comme le centre d’art Image/Imatge à Orthez, ou le Bel ordinaire à Pau par exemple.
Depuis mon retour à Lille, je poursuis mes recherches sur l’érosion. J’ai récemment engagé une collaboration avec l’artiste Rémi Couvreur, afin de mettre en regard des notions similaires dans des pratiques différentes. Ensemble, nos recherches abordent ici la question de l’objet rapporté dans nos déplacements respectifs. Nous essayons d’extraire des empreintes de falaises par la technique du moulage.

Lors de votre résidence au Pays basque, vous avez pu visiter le jardin de sculptures de La Petite Escalère. Pourriez-vous nous dire ce qui vous a le plus marqué ou questionné ?
Lors de ma venue à La Petite Escalère en compagnie de Elke Roloff, j’ai eu le plaisir de rencontrer Corinne Crabos qui m’a fait découvrir le jardin avec beaucoup de passion. Bien que j’ai découvert celui-ci sous un ciel chargé de nuages et à la fin de l’hiver… Mais peu importe les conditions, je crois que ce jardin nous séduira toujours. La pluie a révélé à mon sens bien d’autres aspérités de la beauté des œuvres exposées. À travers l’histoire du jardin ainsi que plusieurs anecdotes épiques, Corinne m’a très vite transmis les valeurs de ce lieu qui dégage selon mon ressenti beaucoup d’amour et de partage. Je crois que, comme tout artiste venant pour la première fois dans ce jardin, ce lieu nous transmet deux états d’âme : l’admiration puis l’inspiration. De plus, j’ajouterais que je fus agréablement surprise de pouvoir constater la manière dont peuvent cohabiter toutes ces sculptures avec le jardin, chacune semblant avoir trouvé parfaitement et naturellement sa place dans cet espace verdoyant.

Manon Thirriot
Née en 1993, vit et travaille à Lille. Après l’obtention du DNSEP (diplôme national supérieur d’expression plastique) en 2016  à l’Esa (Ecole Supérieur d’Art du Nord-Pas de Calais Dunkerque Tourcoing), Manon Thirriot intègre rapidement la Malterie en étant sélectionnée pour le projet Starter, programme d’aide à la professionnalisation ouvert aux jeunes diplômés.
manonthirriot.com