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Brazilian Modern : The Living Art of Roberto Burle Marx au Jardin Botanique de New York

Actualités - 18/09/2019 - Article : Jonathan Goodman

Roberto Burle Marx (1909-1994) est une figure iconique, pas uniquement pour son art composé de plantes vivantes et créateur de jardins paysagers d’une extraordinaire beauté, mais également pour sa sensibilisation à l’environnement. Il fut un leader dans la création de domaines centrés sur la nature et reflétant la formation artistique de l’artiste. Né à Sao Paolo et élevé à Rio de Janeiro, Burle Marx s’installe à Berlin en 1928 pour étudier la peinture. Bien qu’il se considère comme un peintre (ses excellentes œuvres d’art plastique—peintures, dessins, textiles—sont également exposées en intérieur dans une galerie du Jardin Botanique de New York), il retourne deux ans plus tard à Rio pour suivre des cours à l’Académie Nationale d’Art où il se met bientôt à étudier les arrangement esthétiques de plantes. Son premier projet, un jardin créé en collaboration avec l’architecte Lucio Costa au début des années 30, montre ce qui a su immédiatement attirer l’attention sur Burle Marx : cet extraordinaire tissage de plantes et d’arbres qui participe à l’esthétisation de la nature mais aussi, de toute évidence, à la prise de conscience de la vulnérabilité du monde végétal au vu des progrès de plus en plus antagonistes de l’humanité.

Burle Marx n’était pas seulement un artiste ; c’était aussi un horticulteur qui explorait souvent la forêt tropicale brésilienne et un activiste qui, très tôt, nous mettait en garde contre les effets dévastateurs de la déforestation. En rendant hommage à sa vie et à son œuvre, le Jardin Botanique de New York ne fait pas que reconnaître un iconoclaste dont la créativité naissait de sources peu conventionnelles en matière d’inspiration artistique mais offre également un montage d’une remarquable beauté. Les arrangements végétaux débutent à l’extérieur de la serre située à proximité d’une des entrées du jardin et se prolongent dans les pièces baignées de lumière, à la végétation luxuriante et à l’humidité dense du bâtiment. Ils composent un magnifique mémorial à l’artiste qui était clairement très en avance sur son temps. Le petit parc botanique est surtout remarquable pour ses plantations de semis, buissons et arbres provenant non seulement d’Amérique du Sud mais du monde entier. Un petit chemin de pierres grises et blanches guide les visiteurs à travers les charmes puissants du monde végétal. Il y a aussi un mur de pierre gris-brun au design abstrait et à la géométrie linéaire, émergeant d’un étang ; en bas à droite du mur s’écoule un filet d’eau. En semaine, quand la foule est moins dense, on peut apprécier l’amalgame compact de petites plantes et de buissons : philodendrons, arbres mât, alocasias, palmiers.

Si l’exposition inspirée des dessins de Burle Marx est de taille relativement modeste, elle n’en reste pas moins riche et efficace. Les plantes et les arbres se complètent et contrastent les uns avec les autres, tant par leur taille, leurs couleurs, leurs textures, que par le type de flore dont ils sont entourés. Contrairement aux œuvres plastiques de Burle Marx, ce jardin, comme tout ce qu’il a conçu, est plus un lieu de repos méticuleusement cultivé qu’une jungle. Face à toute l’éloquence de l’artiste quant à la déforestation, cet hommage prend la forme d’un environnement hautement cultivé—dans lequel les plantes, disposées ensemble mais originaires de différentes régions, semblent composer une palette, une image ou une peinture plus large. Burle Marx était tellement doué pour créer ce type d’image—le terme peut être utilisé même si, ou car, le fait de parcourir ce chemin bordé de plantes pour la plupart exotiques (du moins pour un Américain) a une charge tout autant culturelle que naturelle. L’idée ne peut qu’être intuitive étant donné que le chemin est, à la grande exception du chemin bétonné et de la fontaine aux incisions linéaires et modernistes, plus ou moins consacré à la flore. Burle Marx a passé sa vie à recueillir et exposer des plantes et des arbres, mais sa formation était d’abord artistique, et la force de sa remarquable intuition avait donc deux objectifs : la création d’un art entièrement basé sur la nature et la présentation d’une nature au service de l’art.

Que signifie tout cela à la lumière de l’héritage qu’a laissé l’artiste dans un monde qui est de plus en plus, pour ne pas dire irrémédiablement, en accord avec sa voix prophétique de visionnaire esthétique et d’anticipateur moral d’un paysage en voie de disparition rapide ? Burle Marx n’est plus des nôtres, mais ce n’est pas parce qu’il nous a quitté depuis une génération qu’il était en avance sur son temps. C’est parce que ce qu’il prévoyait pour notre monde s’est maintenant réalisé. Il est terrifiant de constater la rapidité avec laquelle nous avons ravagé la nature, comme par exemple la forêt tropicale, qui ne constitue pas seulement une source nécessaire d’oxygène et l’habitat de créatures participant à la diversité mondiale, mais également une source d’imagination. L’esprit n’a de cesse d’utiliser la nature comme point de départ de métaphores sans lesquelles l’élan créateur serait démuni. Il est possible qu’il soit déjà trop tard pour sauver la nature des ravages causés par une population mondiale croissante, sans parler de ceux causés par notre simple indifférence. Il s’agit de construire des endroits où la pensée survive à la lumière de ce qu’elle imagine—que ce soit culturel ou naturel. Dans l’art fascinant de Burle Marx, ce sont les deux. Il parle à notre présent et à notre futur—la vie culturelle doit de plus en plus aborder l’extérieur physique tout comme l’intérieur de l’esprit.

On se demande si les inquiétudes actuelles quant à l’environnement peuvent conduire à un regain d’imagination, tant d’un point de vue créatif que critique ou académique. La littérature, tout comme l’art, connaît aujourd’hui une nouvelle tradition d’éco-critique. Certains de nos plus grands praticiens, comme l’américaine Theresita Fernandez, travaille sur des installations souvent inspirées d’effets naturels. Mais, comme en témoigne ce remarquable hommage au Jardin Botanique de New York, Burle Marx était bien plus qu’un artiste. Des plantes basses aux couleurs douces rivalisent avec de grands arbres venant du monde entier ; une flore aux couleurs vives crée une palette bien plus éclatante que celle que l’on trouve dans la peinture. En ce sens, la nature surpasse la culture. Burle Marx, dans son exploration scientifique de la forêt tropicale, a trouvé le moyen d’apporter ses découvertes dans les villes où il a travaillé et vécu pour que l’expérience concomitante de l’originalité et les attributs qu’offre le monde extérieur s’unissent en un ingénieux assemblement végétal.

Nous sommes aujourd’hui habitués à des méthodes artistiques originales, et la décision de Burle Marx de peindre avec des plantes et des arbres ne nous semble plus terriblement excentrique. En effet, on remarque que la subtilité et la palette de couleurs que la nature nous offre surpasse de loin celle de l’huile, de l’acrylique ou de l’aquarelle. L’artiste nous offre une variété et une gamme de nuances spectaculaires, sans parler des structures tout aussi belles qu’offrent les feuilles, les troncs et les herbes. Le but de Burle Marx était d’observer minutieusement comment les différentes formes présentes dans la nature peuvent s’entrecroiser et se mélanger pour créer des motifs et des textures que la main de l’homme ne peut reproduire. Burle Marx était un véritable inventeur, un artiste dévoué au transcendant, mais il n’a pas vécu une vie d’abstraction immatérielle. Au contraire, il pensait que ce qu’offrait la nature, dans la campagne qui l’entourait, pouvait être utilisée pour construire une variété d’effets qui non seulement enchantait son public, mais rappelait aussi aux spectateurs la fragilité croissante des éléments de son jardin. Cela était vrai de son vivant, dans un monde dans lequel les subtilités de la croissance étaient littéralement coupées par la main de l’homme. S’il ne pouvait faire grand-chose pour ralentir cette accablante destruction qui était et demeure inévitablement liée au développement et à l’empiétement des hommes sur le paysage, il ne s’est pas non plus privé de nous mettre en garde contre les ravages qui en résulteraient plus tard.

Peut-on encore faire marche arrière et s’éloigner du chemin qui nous mène inévitablement droit à l’oubli? Mais, tristement, l’art de qualité, et même le grand art, ne peuvent transformer les forces qui épuisent inexorablement la richesse de la forêt tropicale. Peut-être en a-t-il toujours été ainsi—les artistes ne sont pas connus pour avoir assez de pouvoir pour changer la société, même si leur tr avail encourage leur public à le faire. Burle Marx a su porter l’art du paysagisme au-delà de tout ce qui a été fait. Et le Jardin Botanique de New York est la preuve de son inspiration et de sa volonté de permettre à la nature dont il se servait dans son art à demeurer nature, plutôt que de forcer des valeurs culturelles au sein de valeurs qu’on ne trouve que dans le monde extérieur. Pour cet écrivain, l’hommage du Jardin Botanique de New York a donc éveillé une humeur mélancolique, d’autant plus qu’en l’espace du quart de siècle qui a suivi la mort de Burle Marx tant de mal a été fait. L’art peut accomplir beaucoup, mais il a ses limites—surtout face aux forces sociales qui l’éclipsent si aisément. Malgré tout, « Brazilian Modern » n’est pas la mémoire d’un lieu mais un site vivant dans lequel les éléments d’une nature généreuse s’entremêlent remarquablement. Peut-être est-ce là, dans cette ère de profusion humaine, tout ce que nous puissions faire. Si l’on ne peut sans doute se contenter des jardins de Burle Marx, ils constituent pourtant une réponse aux éternelles complexités humaines et environnementales qui, si elles restent partielles, sont vraies et authentiques.  Nous avons besoin de sa vision aujourd’hui plus que jamais, avant d’être entièrement gagnés par l’indifférence et la cupidité.

Brazilian Modern: The Living Art of Roberto Burle Marx
New York Botanical Garden
New York
Through September 29, 2019