• Simone Leigh, Brick House, 2019 Photo : Timothy Schenck
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Simone Leigh sur la High Line

Actualités - 13/12/2019 - Article : Jonathan Goodman

Le monumental buste féminin de Simone Leigh, intitulé Brick House, inaugure la High Line’s Plinth, un espace situé à l’intersection de la 30ème rue et de la 10ème avenue à New York. Le Plinth, ouvert assez récemment, est dédié à l’exposition de sculptures publiques, et Brick House est la première à y être exposée. Haut de près de 5 mètres, ce buste de femme noire à l’expression sereine porte son regard sur la 10ème avenue, imposant une présence raciale sous la forme d’une sculpture figurative. Selon les notes de presse, les influences de Brick House sont multiples et complexes – généralement associant des références architecturales africaines et afro-américaines au corps humain. Pour ce qui est de Brick House, les influences, et en particulier celles concernant les formes arrondies de la partie inférieure du visage, s’inscrivent aussi bien dans l’architecture Battammaliba du Bénin et du Togo ; dans les teleuks du peuple Mousgoum du Cameroun et du Tchad ; et dans l’architecture du restaurant Mammy’s Cupboard dans le Sud des Etats-Unis. La tête dénuée d’yeux, au visage plat, interpelle par sa coiffure complexe. Une coupe afro courte couvre une grande partie de la tête, autour de laquelle s’enroule une tresse prolongée de quatre autres tresses serties de cauris, tombant sur les épaules de la femme.

Influences mises à part, la présence de la figure féminine est particulièrement forte. Les circonstances sociales de l’œuvre reflètent un intérêt croissant des artistes de la diaspora africaine, américaine et, dans le cas de Leigh, américano-jamaïcaine, pour les arts d’Afrique. En incluant des références à d’autres cultures, Leigh confère une base panafricaine à son œuvre qui échappe à une présence occidentale au profit d’une autre, profondément liée aux arts d’Afrique. La présence de nouvelles références démontre clairement qu’on assiste actuellement à une nouvelle orientation vers le passé, surtout aux Etats-Unis, où des diasporas du monde entier coexistent. Une tendance où les non-blancs puisent dans leur propre histoire, même lorsqu’ils créent des œuvres qui associent des créativités modernistes occidentales vieilles de cent ans. C’est une époque résolument éclectique et excitante mais où l’on risque également de tomber dans un traitement superficiel de cette appropriation, où l’influence culturelle se trouve diminuée par un manque extrême de profondeur. Aux Etats-Unis, les diasporas ont aujourd’hui tendance à s’unir – tout comme la culture panafricaine, la culture panasiatique est en pleine émergence. Nous payons le prix de cette nouvelle ouverture en perdant les spécificités des cultures dans lesquelles nous puisons. Il semble donc dangereux d’emprunter trop abondamment et trop librement, puisqu’on ne fait plus alors qu’effleurer la culture utilisée.

Il est cependant intéressant de constater que cet argument ne s’applique pas à Brick House qui porte à merveille ses attributs culturels. Sa présence à New York est merveilleusement africaine. New York est une ville qui accueille des personnes du monde entier, et ses institutions culturelles ont fait de gros efforts pour offrir aux minorités des opportunités de présenter leur version de la culture, souvent (mais pas toujours) en incluant les cultures auxquelles elles appartiennent. Leur impact est si complexe qu’il est difficile à mesurer, mais pour ce qui est de la culture de Simone Leigh, nous pouvons remarquer comment les inférences à l’architecture africaine sont subtilement utilisées, complétant l’œuvre d’art sans trop la charger. Comment arrive-t-on à s’ouvrir à toutes les possibilités qu’offre l’art contemporain, quand il a tendance à sauter de culture en culture, à travers le monde ? On peut argumenter, et à juste titre, que l’utilisation de références visuelles venant d’horizons lointains et de temps anciens a tendance à compliquer la présence esthétique de l’objet offert – au point où on se sait plus trop ce qu’on est en train de regarder. C’est un vrai danger.

Mais il est également vrai que l’histoire de l’art est peuplée d’imageries qui remontent à des centaines, sinon à des milliers d’années. Dans le cas de Leigh, pourtant, on ne rencontre pas ces problèmes. Au contraire, elle a créé un personnage né de différentes cultures africaines, et elle travaille avec les références contenues dans son œuvre avec facilité et talent. On peut difficilement sous-estimer l’impact de Brick House qui se dresse, monumentale, au milieu de la fumée des pots d’échappement, observant sans ciller l’anonymat de la 10ème avenue, juste au nord du quartier artistique de Chelsea mais aussi juste au sud de Midtown West. Sa présence parle au futur du monde de l’art, occupés que nous sommes à tourner nos prédilections démocratiques vers des artistes aux origines diverses.

Peut-être pourrait-on également penser que Leigh exécute ici un rite d’indépendance culturelle face à des siècles de négligence préjudiciable. Le buste, installé sur un piédestal de plus d’un mètre de haut, se détache merveilleusement des hauts buildings qui l’entourent. Et pourtant, déterminée, la femme garde son identité, sauvegardant ainsi les bases culturelles dont elle est le fruit, mais aussi permettant à la communauté artistique noire de New York d’aller de l’avant – vers un monde où la promesse d’une culture noire est pleinement comprise et incite à la création d’autres œuvres de ce type. Leigh est relativement nouvelle au sein d’un groupe d’artistes afro-américains dont le travail s’inscrit résolument dans la culture noire – allez voir les peintures narratives de Kerry James Marshall, ou les silhouettes racialisées de Kara Walker.

Lancée par l’art de Jacob Lawrence et Romare Bearden, il existe aujourd’hui une tradition artistique forte d’échanges entre les forces inhérentes au monde occidental et à l’héritage africain. Une tradition qui s’attache à esquisser la culture contemporaine noire dans tous ses détails et toutes ses nuances. Une façon d’y parvenir consiste à établir des liens forts avec des histoires et des avancées culturelles africaines plus anciennes, de sorte que l’image actuelle possède une aura née d’un passé bien spécifique. Brick House possède cette aura, et en a sans doute besoin, vu la construction rude des rues sur lesquelles elle repose et l’inévitable distance culturelle qui la sépare d’une ville dédiée à produire de l’argent. Il s’agit cependant ici d’une spéculation, et on peut se réjouir de pouvoir dire que Brick House est un premier exemple remarquable de ce que nous espérons être une série d’efforts dédiés à élargir les implications culturelles de la sculpture publique à New York – du formalisme moderniste à une imagerie plus culturellement spécifique, adoptant des héritages autres que ceux que nous connaissons par cœur. La spécificité inhérente au travail de Leigh constitue un bond en avant pour un art dont les origines ne sont pas bien connues de la culture américaine. Ainsi, Brick House informe et édifie d’une manière qui est pour nous toute nouvelle. C’est là ce que fait le grand art.

Simone Leigh, Brick House
June 2019 – September 2020
On the High Line at the Spur, at 30th St. and 10th Ave.