• Left: Pink Ladies, 2014. Courtesy the artist and Cheim & Read, New York. Right: Pink Lady (For Asha), 2013. Courtesy the artist; Cheim & Read, New York; and Locks Gallery, Philadelphia. © Lynda Benglis / Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • Lynda Benglis, Crescendo, 1983-84/2014-15. Cast bronze. 9’3" x 82" x 15’6" (281.9 x 208.3 x 472.4 cm). Double Fountain, Mother and Child, For Anand, 2007. Bronze in two parts, 72" x 9’ 10" x 26" (182.9 x 299.7 x 66cm)
  • Lynda Benglis, Crescendo, 1983-84/2014-15. Cast bronze. 9’3" x 82" x 15’6" (281.9 x 208.3 x 472.4 cm). Double Fountain, Mother and Child, For Anand, 2007. Bronze in two parts, 72" x 9’ 10" x 26" (182.9 x 299.7 x 66cm)
  • Lynda Benglis, North South East West, 2009. Cast bronze fountain and steel. Four elements, each 66" x 7' 6" x 56" (167.6 x 228.6 x 142.1 cm). Courtesy the artist; Cheim & Read, New York; and Locks Gallery, Philadelphia. Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • Lynda Benglis, North South East West, 2009. Cast bronze fountain and steel. Four elements, each 66" x 7' 6" x 56" (167.6 x 228.6 x 142.1 cm). Courtesy the artist; Cheim & Read, New York; and Locks Gallery, Philadelphia. Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • Left: Pink Ladies, 2014. Courtesy the artist and Cheim & Read, New York. Right: Pink Lady (For Asha), 2013. Courtesy the artist; Cheim & Read, New York; and Locks Gallery, Philadelphia. © Lynda Benglis / Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • Lynda Benglis, Pink Ladies, 2014. Courtesy the artist and Cheim & Read, New York. © Lynda Benglis / Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • Installation in progress at Storm King Art Center, all works by Lynda Benglis. Bounty, 2014. Private collection. Fruited Plane, 2014. Courtesy the artist and Cheim & Read, New York. Amber Waves, 2014. Courtesy the artist and Cheim & Read, New Y ork. © Lynda Benglis / Licensed by VAGA, New York, NY. Photograph by Jerry L. Thompson.
  • HillsandClouds, 2014 Cast phosphorescent polyurethane and stainless steel 11 x 19 x 19' (335.3 x 579.1 x 579.1 cm) Courtesy the artist and Cheim & Read, New York
  • HillsandClouds, 2014 Cast phosphorescent polyurethane and stainless steel 11 x 19 x 19' (335.3 x 579.1 x 579.1 cm) Courtesy the artist and Cheim & Read, New York
  • HillsandClouds, 2014 Cast phosphorescent polyurethane and stainless steel 11 x 19 x 19' (335.3 x 579.1 x 579.1 cm) Courtesy the artist and Cheim & Read, New York
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Lynda Benglis à Storm King

Actualités - 13/09/2015 - Article : Jonathan Goodman

Situé à environ une heure au nord de New York sur un terrain bucolique de 200 hectares, Storm King s’est imposé depuis son ouverture il y a une cinquantaine d’années comme un grand centre de sculpture moderne. Ayant accueilli des œuvres d’artistes aussi renommés que George Rickey, Magdalena Abakanowicz, Mark di Suvero, and Zhang Huan, Storm King est un véritable terrain d’essai pour les esprits les plus créatifs de notre temps. La beauté pastorale du site n’est pas son seul attrait : il abrite une anthologie d’artistes internationaux dont la mission est de partager une vision, le plus souvent abstraite, selon laquelle les imaginations d’artistes, contemporains ou non, s’intègrent au paysage vallonné et aux clairières du parc. Aucun autre lieu aux Etats-Unis ne me semble avoir aussi parfaitement réussi à faire dialoguer le paysage et la créativité des artistes, dont les œuvres sont habituellement exposées dans les espaces bétonnés de la ville où elles se trouvent filtrées par l’ambition et l’argent.

Le romantisme de la nature et son utilisation comme contexte pour la sculpture contemporaine peuvent présenter certaines difficultés. Le charme inhérent à la nature peut parfois détourner l’attention de l’œuvre d’art ! Cela ne signifie par pour autant que l’art soit diminué ou submergé par les arbres et les champs ; on pourrait suggérer en revanche que le rôle d’un site géorgique ouvert au public et consacré à une cause culturelle est de créer un environnement au cœur duquel l’art peut être apprécié à sa juste valeur—loin des distractions de la vie urbaine. Alors qu’aujourd’hui les lois du marché se sont quasiment totalement approprié les carrières de grands sculpteurs, il semble que le choix d’un espace d’exposition plus neutre, moins marqué par l’argent, devienne de plus en plus primordial. Tâche devenue difficile à New York qui, bien qu’ayant conservé sa primauté en tant que lieu d’exposition, est particulièrement soumise aux dictats financiers. Il ne s’agit pas non plus de choisir un environnement rural comme lieu d’exposition purement et simplement pour sa beauté ; c’est l’éloignement des lieux de commerce qui permet d’observer l’œuvre d’art de façon relativement objective, sans le voile financier qui vient parfois se glisser entre l’œuvre et le spectateur.

Le rôle de l’art public jouit aujourd’hui d’une petite histoire contemporaine, bien que certains artistes m’aient confié qu’il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de vivre exclusivement de ces œuvres-là. Pourtant, le concept se révèle être un bon antidote à une approche entièrement privée et monétaire de ce que l’art peut accomplir. Les fontaines sculptures de Lynda Benglis ont été placées près de la maison qui sert de centre d’accueil et de galerie d’exposition ; elles constituent un exemple remarquable d’une vision résolument créative développée par l’artiste depuis des années. Il est d’autre part important de faire remarquer que ces œuvres pourraient être exposées en dehors des paysages verdoyants de Storm King ; elles s’intégreraient tout aussi bien à un environnement urbain, comme lieu de rencontre, où citadins et touristes peuvent apprécier à la fois un art « anti-formaliste » et l’élément aquatique, que Benglis a si bien su associer dans ces œuvres.

Comme le suggère ses sculptures, Benglis a toujours été une artiste « free form ». Sa photo, publiée dans le numéro de novembre 1974 de la revue Artforum et la représentant nue, affublée d’un énorme phallus, lui a d’autre part valu une réputation sulfureuse. Bien que l’image ait été dénoncée par les féministes comme un coup de pub, elle révèle chez l’artiste un goût pour les prises de risques—non seulement dans son travail mais dans son mode de vie en général. Au final, cette démarche très américaine aura sans doute peu à voir avec l’accomplissement artistique de Benglis. Mais sa carrière et son travail restent indéniablement marqués par cette exubérance érotique. Sa vie en tant qu’artiste adopte une position qui correspond peu à celle qu’on s’imagine traditionnellement de la part d’une femme artiste. C’est une position, en l’occurrence, issue d’une époque d’ouverture et d’expérimentation sexuelles. De façon intéressante, Benglis a su créer une œuvre qui rend justice à une vision sensuelle, ouvertement sexuelle, du monde. Une vision dans laquelle le désir de fusion, érotique et émotionnelle, trouve sa vraie place sur la scène de l’art visuel.

Pink Ladies (2014), un moulage de polyuréthane pigmenté et de bronze, se compose de trois piliers rose vif constitués de plusieurs cônes par lesquels circule l’eau. Benglis a choisi cette couleur après avoir vu un cerf volant planer dans le ciel d’Ahmedabad, en Inde, alors qu’elle participait à une résidence de six semaines chez la famille Sarabhai. Depuis, elle se rend régulièrement en Inde. La teinte rose vif contraste avec les gris et les bruns de la maison située derrière la sculpture, ainsi qu’avec les verts profonds de la pelouse et des feuillages. Comme toute fontaine, Pink Ladies sert de lieu de rencontre tout en constituant en soi une remarquable sculpture.

Benglis a réalisé North South East West (1988/2009/2014-15), composées de bronze et d’acier, en versant de la mousse de polyester sur un pot en céramique Ming au-dessus duquel elle a installé un support de câbles. Les formes qui en résultent, qui font penser aux vagues de l’océan, aux ondulations lentes de la lave, ou encore à de gigantesques insectes, sont à la fois le produit d’une intention consciente et d’une liberté délibérée issue d’un procédé de fabrication complexe impliquant la collaboration d’autres personnes que l’artiste elle-même. Initialement, chacun des quatre éléments étaient identiques, mais, selon les notes de presse, Benglis s’est ensuite mise à en retravailler trois, en ajoutant des éléments de bronze. Le quatrième élément, East, est resté intact. Ces formes massives qui se dressent comme pour attaquer une proie invisible créent une sensation menaçante. Benglis s’est toujours intéressée à un formalisme qui demeure résolument informe — un formalisme anti-formel, pour ainsi dire. Cette œuvre en est représentative.

Bien qu’identiques, les trois sculptures en bronze coulé, hautes de près de 8 mètres, sont intitulées individuellement Bounty, Amber Waves, et Fruited Plane (2014) ; ces titres sont tirés des paroles du fameux hymne « America the Beautiful » qui célèbre l’abondance et la beauté naturelles des Etats-Unis. Ces colonnes de cônes s’élèvent contre les collines qui entourent la prairie dans laquelle elles ont été installées ; le diamètre du bassin qu’elles occupent est relativement restreint mais constitue un environnement aquatique pour les trois œuvres. Les formes de Crescendo (1983-84/2014-2015) ressemblent beaucoup à celles de North South East West ; deux formes surgissent de la fontaine. Benglis précise qu’elle s’est inspirée ici des crustacés et du monde marin : un marsouin bondissant hors de l’eau. Cette œuvre est elle aussi le résultat d’amalgames ; l’artiste a versé de la mousse de polyuréthane sur une fontaine de bronze intitulée The Wave of the World (1983-1984), installée à l’origine à la Nouvelle Orléans dans le cadre de l’exposition universelle de 1982.

Hills and Clouds (2014) est la plus récente des œuvres de Benglis exposée ici. Ce n’est pas une fontaine mais plutôt un monticule—il n’y pas d’autre terme pour la décrire—de polyuréthane coulé soutenu par une structure d’acier inoxydable. Les éléments supérieurs de la sculpture et certains de ses éléments inférieurs sont phosphorescents. C’est en 1971 que Benglis utilise pour la première fois la phosphorescence dans son travail. Aujourd’hui encore, elle semble fascinée par ce phénomène naturel, que l’on peut observer dans les grottes et dans la mer. Dans cette œuvre en particulier, elle explique qu’elle souhaitait créer la sensation de quelque chose s’élevant dans les airs plutôt qu’ancré dans la terre. Les franges flottant le long des renflements en formes de hamacs rappellent quant à elles les longs filaments de mousse espagnole qui ornent les chênes verts de Louisiane, où Benglis est née. L’œuvre est un chef-d’œuvre de nature informe.

Benglis est indéniablement une artiste de premier plan et l’une des sculptrices les plus marquantes de sa génération. La façon dont elle associe exubérance et humour est pour ainsi sans précédent ; elle a construit une esthétique autour d’œuvres qui échappent à tout formalisme. Elle personnifie ainsi la révolte d’une génération qui a su créer une forme de contre-culture caractérisée à la fois par une aspiration à une hiérarchie de la forme et par un antagonisme général envers cette même hiérarchie et constituant au final un démenti exubérant du soi-disant art « sérieux ». Cela ne signifie pas pour autant que Benglis rejette la culture—loin de là. Sa vision lyrique célèbre plutôt l’impulsivité et l’originalité de formes qui s’approchent plus du contenu que de l’artifice formel. Au final, Benglis nous montre que, tant que l’œuvre est porteuse d’énergie et de standards élevés, nos origines ont peu d’importance. Voici une exposition d’envergure.

Lynda Benglis: Water Sources
16 mai – 8 novembre 2015
Storm King Art Center
1 Museum Rd, New Windsor, NY 12553, Etats-Unis
benglis.stormking.org