• ÉTÉ — Ai Weiwei, Iron Tree, 2015. Frederik Meijer Gardens & Sculpture Park. Photo © McDaniel
  • HIVER — Ai Weiwei, Iron Tree, 2015. Frederik Meijer Gardens & Sculpture Park. Photo © Van Dis
  • HIVER — Ai Weiwei, Iron Tree, 2015. Frederik Meijer Gardens & Sculpture Park. Photo © Van Dis
  • HIVER — Ai Weiwei, Iron Tree, 2015. Frederik Meijer Gardens & Sculpture Park. Photo © Van Dis
  • Ai Weiwei, Tree, 2015. Mary Boone Gallery (Chelsea, New York). photo : dominique haim.
  • Ai Weiwei, Tree, 2015. Mary Boone Gallery (Chelsea, New York). photo : dominique haim.
  • Ai Weiwei, Iron Tree Trunk, 2015, fonte 433 x 187 x 130 cm, 1,5 t. Collection privée © Ai Wei Wei Studio Courtesy Galerie Max Hetzler, Berlin I Paris
  • Ai Weiwei, Tree, 2010 © Tate Gallery
  • Ai Weiwei, Tree 2009-10, 2015, Installation à la Royal Academy of Arts London 2015. Photo © David Parry
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Ai Weiwei — L’arbre recomposé

Œuvres - 17/02/2017 - Article : Corinne Crabos

De l’antiquité à nos jours, l’arbre intrigue, fascine, questionne et inspire tous les champs de la création, de la pensée et des émotions. Compagnon le plus ancien de l’homme, l’arbre reste pour nos contemporains la figure majeure du vivant, celui qui relie la terre au ciel, se régénère perpétuellement, vrai triomphe sur le temps. Les sculpteurs du XXe et XXIe siècles en ont fait une de leur représentation récurrente, objet de tous les questionnements et d’identification : « Quand je me couche sur le sol, je conçois mes pieds comme des racines, mon buste comme un tronc, mes bras et mes mains comme des branches et mes sens comme les feuilles de l’arbre, mes gestes sont conçus comme les mouvements des rameaux » dit l’artiste Andy Goldworthy.

Au Frederik Meijer Garden and Sculpture Park (Michigan, États-Unis), l’exposition Ai Weiwei (janvier-mars 2017) nous donne l’occasion d’aborder la représentation de l’arbre dans son œuvre. Ai Weiwei (1957- ) est la figure majeure de la scène artistique indépendante chinoise. Artiste polyvalent (architecte, photographe, sculpteur, performeur…), symbole de la dissidence, son art engagé prend souvent des objets du quotidien ou/et des médiums de communication pour atteindre un public plus large. Son œuvre, entre autre, revisite le concept de « ready-made » de Marcel Duchamp en repensant des éléments originaux qu’il n’a pas lui même créés avec une esthétique contemporaine et une pensée politique.

L’arbre entre passé et présent

En chinois classique, l’arbre est représenté par le sinogramme MU qui constitue un radical à partir duquel sont crées un très grand nombre de caractères importants. MU signifie le bois, l’un des cinq éléments de la cosmogonie qui correspond au renouveau, à la résurrection. L’arbre, source de vénération en Chine, est le représentant de l’univers en perpétuelle métamorphose, le passeur par excellence entre les forces souterraines et les forces célestes par sa stature. Il donne à voir par son cycle de vie que toutes les choses sont reliées entre elles, qu’il peut être un et une forêt. Cette culture traditionnelle liée au taoïsme dont Ai Weiwei est imprégné nourrit son approche et son travail autour des arbres.

L’aventure des arbres d’Ai Weiwei a débuté dans les rues de Jingdezhen (sud de la Chine) où se vendent depuis des décennies des troncs, des branches, des racines d’arbres des forêts environnantes. Ces formes complexes trouvées dans la nature servent à la décoration des maisons et sont objets de contemplation perpétuant la tradition des rochers aux formes étranges des cabinets de lettrés. Pendant des années, Ai Weiwei achète des tronçons de ces vieux arbres et les entrepose dans son atelier de Pékin. C’est le temps de l’attente pour trouver un but à cette collection, pour qu’elle intègre le vocabulaire esthétique de l’artiste. Repenser les éléments originaux du passé pour penser le présent, une façon de poser la question de la destruction et de la préservation de l’héritage culturel. Il n’hésite pas dans ses installations à détourner, re-décorer, ré-assembler, voire détruire des objets ancestraux.

Trees *

De 2009 à 2010, Ai Weiwei a fabriqué une série de douze Trees à partir de ces vieux tronçons d’arbres secs. « C’est comme essayer d’imaginer à quoi l’arbre ressemblait » dit Ai Weiwei. Les différents morceaux sont tenus ensemble suivant une méthode traditionnelle « d’assemblage non traversant à tenon et mortaise » pour façonner les branches, ajoutant des vis et des écrous pour renforcer les éléments de la structure. Tenus à distance, ils semblent de vrais arbres mais en se rapprochant on voit qu’ils ont été recomposés. Le but n’est pas le réalisme mais une illusion de réalisme qui déstabilise la perception et la pensée de celui qui regarde. Les matériaux naturels sont comme ramenés à vie, sorte de résurrection dans un contexte artistique. Un nouveau cycle commence.
En transformant leur fonction et leur valeur originelle, Ai Weiwei imprègne les objets d’une nouvelle signification et oblige le spectateur à les affronter sous un jour nouveau. L’arbre devient un objet de méditation sur ce qu’est une personne, son rapport aux origines, les éléments différents qui viennent la construire. À ce versant « spirituel » se superpose un versant plus sociétal. De quoi et comment se constitue une société? Quelle est la place de l’individu au sein de la multitude? Comment faire vivre les différences ensemble? Certains ont vu dans l’arbre d’Ai Weiwei une métaphore de la Chine multi-ethnique rassemblée dans la volonté de créer une seule nation.
Chaque arbre est unique même s’il existe plusieurs œuvres similaires de même titre, leur taille peut varier et ils peuvent être exposés en intérieur comme en extérieur. Huit furent exposés dans la cour de la Royal Academy de Londres en 2015. Une œuvre plus monumentale fut acquise par la Tate Gallery : d’une hauteur de 6,8 mètres sur 6,5 mètres d’envergure, elle est composée de branches, de troncs et de racines de différentes essences : camphre, cèdre, ginkgo. Les jointures sont laissées visibles pour mettre en évidence les différentes écorces. Un autre de 5 mètres de haut et 5 mètres d’envergure à la patine naturelle brun cendré fut présenté à la National Gallery of Canada à Ottawa (Canada) en 2016. Un autre enfin à la Galerie Mary Boone à New York en 2016.

De Tree à Iron Tree

Iron Tree marque une nouvelle étape et un développement de son concept de l’arbre. Il se compose de quatre-vingt-dix-neuf pièces moulées qui sont maintenues ensemble par des vis et des boulons surdimensionnés. C’est Tree (2010) qui a servi de moule à Iron Tree (2013) pour le Yorkshire Sculpture Park au Royaume-Uni. Placé en extérieur, les matériaux s’oxydent et donnent une couleur rouille particulière à l’ensemble. Ai Weiwei donne ainsi l’idée du cycle des saisons et du passage du temps. En passant du matériau naturel récupéré au moulage en fer, Ai Weiwei approfondit l’idée de l’art comme principe actif de la métamorphose possible des choses. L’idée d’artifice est décuplée par la visibilité de l’action de la main de l’homme et enfin la copie devient reproductible à l’infini. La méditation provoquée par l’arbre se fait plus vaste. Quel est le rapport de l’homme à la nature? Quel est sa place dans l’ordre du vivant? Quelle est sa capacité à remplacer le vivant par sa copie et jusqu’où? Avec l’utilisation du fer, matériau industriel, et des gros boulons qui maintiennent la structure, le questionnement sociétal se fait plus politique : peut-on ou faut-il par la force faire vivre ensemble des communautés différentes? Par la copie, toute société est-elle interchangeable? L’artifice de l’arbre rejoint-il le côté artificiel de la volonté de nier les différentes ethnies qui constituent la Chine, par exemple?

Trees et fragments

Plusieurs galeries ont exposé des fragments d’arbres, donnant l’illusion d’une forêt d’objets déplacés : la galerie Max Hetzler à Paris en 2015 ainsi que la galerie Lisson à New York en 2016, qui a présenté sept sculptures : troncs coupés en fonte de plus de 4 mètres et une série de racines en fer. Le fragment permet la représentation d’une société déracinée par l’industrialisation et la modernisation illustrant comment une idée du progrès peut se faire au détriment du bien être des hommes.
Le grand art de Ai Weiwei est de mettre en place un dialogue visuel et poétique entre l’arbre et le spectateur où des questions infinies à portée universelle se posent.

* Trees = arbres en français