Entre effroi et délectation, l’esthetique du sublime
« Mon corps est fait de la même chair que le monde ». Cette phrase de Maurice Merleau-Ponty résonne d’une manière particulière au regard de l’exposition « Sublime, les tremblements du monde » au Centre Pompidou-Metz, dont ce beau catalogue fait état et complète le propos. Car il est bien question du rapport de l’homme à la nature, de sa manière de la regarder, de la considérer, de la faire étrangère ou de la même matière que lui.
Cette exposition fait écho aux grandes colères de la nature de ces dernières années et aux manquements technologiques de l’homme : tremblements de terre et tsunami en Indonésie et au Japon, tempête Katrina aux USA, incident nucléaire à Tchernobyl, pour en nommer quelques-uns. Nous, contemporains, avons été saisis d’effroi et en même temps subjugués par la puissance de la nature et la force esthétique des formes que prenait l’événement.
Alors pour comprendre et envisager, entre autre, les enjeux climatiques qui nous attendent et l’ambiguïté de notre regard sur ces catastrophes, cette exposition revisite avec le curseur de l’histoire de l’art la notion de « Sublime » née avec Edmund Burke au XVIIIe, c’est à dire une manière de définir notre relation et notre sentiment de petitesse face à l’immensité de la nature. Frisson, émotion, répulsion disent notre ambivalente fascination devant « Les tremblements du monde ». Trois cent œuvres reviennent sur l’expérience de l’homme et de l’artiste face à la nature et tentent d’amener le spectateur à s’interroger sur son rapport à l’environnement. Différents médiums sont convoqués, artistes anciens et contemporains se côtoient dans cette tentative.
Faire la généalogie de notre rapport au sentiment du Sublime passe tout d’abord par la représentation de la nature tourmentée ou grandiose avec Turner, Friedrich, Missika, Allouche… Tempêtes et volcans sont convoqués. Cette nature qui nous dépasse va s’incarner dans des imaginaires de la catastrophe avec Robert Smithson, Lars von trier, Léonard de Vinci, Cornelia Parker… et s’amplifier avec la catastrophe invisible provoquée par la domination de la nature par l’homme avec Darren Almond, Barbara Leisgen, Robert Adams… La nature nous dépasse toujours mais elle est désormais dépassée par l’homme. Face à cette nouvelle donne, le regard des artistes va se déplacer, s’engager et essayer d’inventer des réponses. Réponses utopiques avec des alternatives architecturales pour protéger la vie avec Juan Navarro Baldeweg, Klaus Pinter, Jacques Rougerie… Réponses à partir d’une série de gestes de protection, de soin, de régénération, de transformation du paysage avec Gina Pane, Ana Mendieta, Agnes Denes… Réponse mémorielle avec l’installation de Tadashi Kawamata « Under the water » dédiée aux victimes du Japon, une façon d’interroger la mémoire du spectateur.
Ce catalogue, grâce à une documentation visuelle et réflexive, rend bien compte de l’évolution de la notion du Sublime à travers les siècles. Cinq grandes introductions de contributeurs différents donnent les grands axes de l’exposition : « Chaosmos » par Hélène Guenin, « Sublime et cosmos, du romantisme à l’art contemporain » par Olivier Schefer, « De l’imaginaire fossile au cours du pétrole » par Hélène Meisel, « Land art et écologie » par Serge Paul, « L’anthropocène et l’esthétique du sublime » par Jean-Baptiste Fressoz. Ces grands chapitres sont suivis d’une approche chronologique de la représentation de la nature : La nature trop loin, imaginaires de la catastrophe, la tragédie du paysage, alternatives, réenchantement. Tous ces textes sont au service des œuvres et des artistes ici présentés grâce à des reproductions de formats divers, souvent en pleine page. Chaque œuvre, chaque artiste est documenté d’une manière minutieuse et replacé dans le contexte de cette exposition. Ce catalogue s’achève sur des artistes donnant une vision plus pacifiée de notre sentiment de la nature.
Tous, par leur intervention, deviennent eux-mêmes créateurs de Sublime.
Sublime, les tremblements du monde, sous la direction d’Hélène Guenin, catalogue d’exposition Centre Pompidou-Metz, 11 février-5 septembre 2016, 223p, illustrations couleur, noir et blanc, Centre Pompidou-Metz Editions, 2016.