• Nancy Holt, Sun Tunnels, 1973–76. Great Basin Desert, Utah. Dia Art Foundation with support from Holt/Smithson Foundation. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY. Photo: ZCZ Films/James Fox, courtesy Holt/Smithson Foundation
  • Nancy Holt, Sun Tunnels, 1973–76. Great Basin Desert, Utah. Dia Art Foundation with support from Holt/Smithson Foundation. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY. Photo: Nancy Holt, courtesy Holt/Smithson Foundation
  • Nancy Holt, Sun Tunnels, 1973–76. Great Basin Desert, Utah. Dia Art Foundation with support from Holt/Smithson Foundation. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY. Photo: Nancy Holt, courtesy Holt/Smithson Foundation
  • Nancy Holt, Sun Tunnels, 1973–76. Great Basin Desert, Utah. Dia Art Foundation with support from Holt/Smithson Foundation. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY. Photo: Nancy Holt, courtesy Holt/Smithson Foundation
  • Nancy Holt, Sun Tunnels, 1973–76. Great Basin Desert, Utah. Dia Art Foundation with support from Holt/Smithson Foundation. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY. Photo: Nancy Holt, courtesy Holt/Smithson Foundation
  • Nancy Holt, Holes of Light, 1973/2018. Installation view, Dia:Chelsea, 541 West 22nd Street, New York, 2018. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Bill Jacobson Studio, New York, courtesy Dia Art Foundation, New York
  • Nancy Holt, Holes of Light, 1973/2018. Installation view, Dia:Chelsea, 541 West 22nd Street, New York, 2018. © Holt/Smithson Foundation and Dia Art Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Bill Jacobson Studio, New York, courtesy Dia Art Foundation, New York
  • Nancy Holt, installation view, Dia:Chelsea, 541 West 22nd Street, New York, 2018. © Holt/Smithson Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Bill Jacobson Studio, New York, courtesy Dia Art Foundation, New York
  • Nancy Holt, Mirrors of Light I, 1974/2018. Installation view, Dia:Chelsea, 541 West 22nd Street, New York, 2018. © Holt/Smithson Foundation/Licensed by VAGA at Artists Rights Society (ARS), New York. Photo: Bill Jacobson Studio, New York, courtesy Dia Art Foundation, New York
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Sun Tunnels de Nancy Holt :
entretien avec Kelly Kivland

Œuvres - 13/03/2019 - Article : Raisa Rexer

De 1973 à 1976, l’artiste américaine Nancy Holt (1938-2014) a créé une installation monumentale de land art dans le désert de l’Utah intitulée Sun Tunnels. En 2018, le Dia Art Foundation a acquis Sun Tunnels avec le soutien de la Fondation Holt-Smithson. Raisa Rexer s’est entretenue avec la conservatrice Kelly Kivland en décembre 2018 sur cette acquisition, sa place au sein des collections du Dia, et sur l’approche de la fondation quant à l’intendance de ses sites de land art.

Comment cette idée vous est-elle venue ? Racontez-moi ce qui vous a amené à faire cette acquisition.
Notre relation avec Nancy a commencé en 1999, lorsqu’elle a fait don de Spiral Jetty de Robert Smithson au Dia.  Cela a permis de cimenter une relation permanente avec elle par la suite. Lorsque son exposition « Sightlines » a ouvert ses portes au Utah Museum of Fine Arts, nous nous sommes rendus sur place pour célébrer l’événement. J’ai eu la chance de la rencontrer à ce moment-là et de visiter Sun Tunnels avec elle et nous sommes restées en contact. J’étais relativement nouvelle au Dia à l’époque, mais il existait déjà un intérêt pour l’acquisition d’autres œuvres de land art puisque nous étions déjà bien positionnés dans l’intendance d’autres sites. Quand elle est décédée en 2014, nous avons considéré plus sérieusement l’idée d’acquérir l’œuvre et avons décidé que c’était pour nous une priorité. Cela a pris quelques années, principalement en raison du temps nécessaire aux transferts entre sa propriété et la Fondation Holt-Smithson. Après sa finalisation en 2017, nous sommes passés à la vitesse supérieure pour racheter l’œuvre à la Fondation Holt-Smithson. Nous avons acquis Sun Tunnels ainsi que l’installation actuellement exposée à Chelsea [jusqu’au mois de mars 2019] intitulée Holes of Light. Holes of Light a été réalisée à peu près à l’époque où Holt commençait à penser à Sun Tunnels, et ce sont donc deux œuvres qui se font véritablement écho ; l’une est une installation d’intérieur qui utilise l’ombre, la lumière et la directionnalité, et l’autre est une itération de la précédente en extérieur.

Qu’est-ce qui, dans le travail de Nancy, vous interpelle personnellement en tant que conservatrice ? Qu’est-ce qui fait que son œuvre tombe aujourd’hui à point nommé ?
Mon intérêt pour le travail de Nancy est né de ma rencontre avec elle et de la réalisation de l’ampleur de son travail à travers « Sightlines ». Je la connaissais un peu à travers ses vidéos mais n’avais jamais réellement eu l’occasion de voir son travail—je n’étais pas la seule—avant « Sightlines ». Dans les années 60, Nancy travaillait sur l’audio, la vidéo, la photographie et la poésie concrète. Tout ce travail consistait à explorer l’espace et le lieu, l’idée d’intérieur et d’extérieur et sa propre place, son propre mouvement au sein de ces lieux, ainsi que sa façon de les garder en mémoire et de les documenter. Je trouvais tout cela très intéressant. Par la suite, en 1971, elle est passée à la sculpture avec ses « Locators », des sculptures faites de tuyaux de plomberie. Peu de temps après, elle s’est mise à créer des installations d’intérieur, puis a travailler sur Sun Tunnels.

Comme d’autres artistes de sa génération, elle s’intéressait au paysage, à la vision et aux nuances de l’observation, mais son approche était très différente. Beaucoup, évidemment, ont écrit sur le spectateur et sur son rôle dans les arts minimaliste et post-minimaliste, mais pour Nancy celui-ci était impératif à l’expérience de son art. Son travail est très rigoureux—elle a étudié la biologie à Tufts, et cela a marqué son mode de pensée—mais son travail laisse  également place à un sentiment ludique, d’interaction et de liberté. Avec les « Locators », par exemple, on regarde à travers eux, mais chaque individu y verra quelque chose de légèrement différent. Dans les installations intérieures, c’est la même chose. Les spectateurs tourneront autour et chacun aura sa propre expérience, son propre temps, sa propre durée avec elles.

Elle est d’actualité aujourd’hui non seulement parce qu’elle était une femme artiste qui a travaillé de façon prolifique à la fin du XXème siècle, mais également en raison de l’association de l’échelle de son travail et des subtilités de son approche. Ses installations d’intérieur de 1973 et 1974 sont gigantesques. Elle occupent une salle entière, créent une pièce à l’intérieur d’une pièce. C’est une démarche artistique tellement osée pour un artiste au début des années 70, une femme artiste qui plus est : prendre le parti, à cette époque, à l’occasion de son exposition à New York, de créer une grande pièce qui, au fond, joue avec le vide, la lumière, le reflet et l’ombre, au lieu de la remplir d’objets. Pour la génération d’artistes contemporains qui travaillent ainsi, qui réfléchissent réellement à la façon dont intérieur et extérieur influencent l’artiste ou à comment l’artiste répond à un lieu à travers la création, son œuvre est vraiment précieuse, car elle dépouille cette base conceptuelle de l’idée d’objet et s’attache plutôt à créer une expérience.  Elle le fait avec une grande simplicité, mais avec une extrême rigueur.

Dans quelle mesure pensez-vous que son approche ait été conditionnée par son sexe et par le fait de travailler dans un domaine qui, à l’époque, était dominé par les hommes?
Il y a tellement de femmes artistes [de cette époque] qui sont restées dans l’ombre, et qui créaient sans doute en réponse à la domination des artistes masculins. Pour être franche, je vois cela comme une riposte aux structures mésolithiques construites par les hommes. Ce qui ne veux pas dire que Sun Tunnels ne fasse pas partie de ces structures ; Holt crée d’énormes structures dans le désert et orchestre l’opération avec toute une équipe d’hommes—ingénieurs, astronomes, ouvriers en bâtiment. Mais malgré leur grande taille, ses structures enveloppent le corps, elles impliquent une attention au rythme de la journée, à la lumière qui les traverse et au paysage qu’elles encadrent. Il y a un élément mythique dans sa façon de regarder « vers le haut » et de concevoir les forces supérieures, comment celles-ci guident notre ressenti du temps et influencent notre perception de l’environnement. La lumière, le temps qui passe, le mouvement du soleil, de la lune et des étoiles—elle pense constamment à relier notre expérience personnelle sur terre à ces forces supérieures. Les Sun Tunnels sont plus ou moins des « Locators » grandeur nature, mais dont l’expérience se fait par le biais du corps plutôt que du regard. Ils prennent la perspective du spectateur de l’intérieur vers l’extérieur du tunnel. De bien des façons, Holt encourage à porter le regard au-delà de l’objet.

Comment le Dia envisage-t-il la régie de cette pièce, d’un point de vue pratique tout autant que philosophique ?
En tant que régisseur et propriétaire, la responsabilité première du Dia est de sécuriser l’accès au site et de comprendre comment nous pouvons participer à la protection de l’œuvre et de l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Ceci ne concerne pas le site et l’objet que d’un point de vue physique. Il s’agit également d’établir des partenariats auprès de la communauté locale. Nous travaillons avec l’Etat de l’Utah, avec les responsables des réseaux routiers, avec le département des ressources naturelles. Nous sommes régulièrement en contact avec de nombreuses personnes afin de protéger ces œuvres. Nous bénéficions également de partenaires au sein de la communauté locale dans l’Utah qui nous aident à promouvoir l’héritage culturel et artistique que constitue cette œuvre–le Utah Museum of Fine Arts et le CLUI (Center for the Land Use Interpretation) qui a un complexe à Wendover, à une heure de route de Sun Tunnels. Mais notre approche principale est d’éviter la sur-médiation. Le seul site qui bénéficie d’une supervision constante est Lightening Fields. Sun Tunnels ne fait l’objet d’aucun monitoring. Nous donnons beaucoup de responsabilité au visiteur. Une grande partie de notre travail d’intendance consiste à promouvoir la protection de ces œuvres sur le long terme. Nous assurons l’accès au site tout en restant soucieux de l’environnement et de la façon dont nous pouvons le protéger.

En tant que responsable de la maintenance du site, quel est votre rôle au niveau de l’environnement ?
En tant que régisseur et propriétaire de Sun Tunnels, nous entretenons le terrain sur lequel il est installé. Nous sommes propriétaire depuis moins d’un an. Durant cette période, nous avons déjà entrepris des efforts de conservation pour les tunnels, et nous avons également pris en considération la visibilité de l’œuvre. Dans les années à venir, nous espérons mettre en place un plan de développement durable plus large, non seulement en ce qui concerne le site, mais également pour l’environnement dans lequel il s’inscrit et quant aux façons dont nous pouvons participer à le préserver.

Parmi les initiatives que nous avons prises en tant qu’intendant, une documentation bi-annuelle de nos travaux, grâce à la photographie aérienne, nous permet d’observer les changements environnementaux et d’établir un historique au fil des ans. Sur le site de Spiral Jetty dont nous sommes propriétaire depuis vingt ans, on peut ainsi constater des périodes de sécheresse et des périodes pendant lesquelles le niveau de l’eau est plus élevé. Depuis quatre ou cinq ans, le niveau de l’eau est très bas en raison d’une sécheresse extrême dans l’ouest américain ; grâce aux photographies, on peut constater les effets de cette sécheresse sur le site de Spiral Jetty. Les scientifiques avec lesquels nous travaillons utilisent Spiral Jetty comme source d’investigation : un micro site, un lieu statique où l’on peut observer ce changement. Et en fait, c’est tout à fait ce à quoi pensait Smithson : observer et suivre le changement de l’environnement et être un agent de ce changement. Je ne sais pas, en revanche, s’il aurait pu imaginer la vitesse à laquelle ce changement s’est accéléré durant les dix ou vingt dernières années.

Comment ce type d’installation de land art peut-il contribuer au débat autour de la protection de l’environnement et du changement climatique d’une manière que d’autres contextes ne permettent pas ?
Nous ne voulons pas instrumentaliser le changement climatique pour faire parler des œuvres d’art dont nous sommes propriétaires. Mais parce que nous avons été propriétaires d’un grand nombre de sites artistiques et de ces œuvres de land art, nous comprenons la nécessité d’être soucieux d’un environnement qui change. Spiral Jetty et Sun Tunnels attirent des visiteurs vers des espaces extraordinaires. Ces œuvres permettent aux visiteurs de prendre conscience qu’ils font partie d’un environnement et qu’ils admirent une œuvre d’art au sein d’un paysage. Les visiteurs veulent protéger ce paysage. Nous réfléchissons à la façon la plus responsable de contribuer à une conversation sur l’environnement en nous basant sur notre rôle en tant qu’intendant de ces sites sur les quatre ou cinq décennies à venir.

Parmi les évènements que nous organisons autour de Sun Tunnels, nous proposons un symposium au mois de février. En plus de trois historiens d’art, nous avons invité un astronome qui parlera des structures mésolithiques qui suivent les changements des astres, un architecte qui travaille sur le design écologique, et un géologue spécialisé dans la région de Bonneville qui parlera des changements géologiques et expliquera pourquoi l’histoire du site et si importante pour Sun Tunnels. Nous espérons que cela fournira un contexte plus large pour Sun Tunnels en tant qu’œuvre de land art et permettra une réflexion quant à la relation de Holt à la terre et à la façon dont nous pouvons observer cette œuvre fantastique au sein de cet environnement. Cela s’inscrit dans notre approche de la conversation sur le développement durable et la protection de l’environnement sur tous nos sites de land art. Parallèlement à la science du changement climatique, nous voulons révéler les différentes façons—géologiques, astronomiques, architecturales—dont une structure agit sur un site et lui répond. C’est une approche qui peut sembler subtile, mais je pense que c’est vraiment important—il ne suffit pas de dire «  Elle a pensé à cet environnement, elle a choisi le site pour ces attributs-là », mais il s’agit de véritablement comprendre ce que sont ces attributs et leur importance, pas seulement pour cette œuvre d’art, mais pour l’histoire de la région, et par là-même de saisir l’importance, pour les américains et pour le reste du monde, de cette région et de cette histoire.